D'abord parce qu'il s'agit d'un cimetière privé, un des deux seuls existant dans la ville. Ensuite parce que son histoire est très particulière.
Le site était autrefois occupé par le couvent des Chanoinesses de Saint Augustin. Les nonnes furent chassées de là par la révolution en 1792. Deux ans plus tard, la grande Terreur règne. La guillotine fonctionne à plein temps. Installée d'abord place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), elle est l'objet de plaintes des riverains gênés par le spectacle quasi quotidien des charrettes de condamnés et de suppliciés qui traversent le quartier. La machine est un temps transportée à l'emplacement de la Bastille détruite, puis à partir du 13 juin 1794, place du Trône renversé (actuelle place de l'Île de la Réunion). Là, la Terreur atteint son paroxysme et ce seront 1306 personnes qui seront exécutées en environ 6 semaines. Jusqu'au 27 juillet (9 thermidor, an II) jour de l'arrestation de Maximilien Robespierre et de vingt-et un de ses proches dont son frère Augustin qui seront exécutés le lendemain, place de la Révolution.
On a exécuté jusqu'à 55 personnes dans une seule journée. Il fallait trouver un endroit pour se débarrasser des corps. On investit donc le jardin du couvent des Chanoinesses qui avait été loué à un dénommé Riédain. Malgré les protestations de ce dernier, on y creusa deux fosses communes et on en prépara une troisième. Effectivement l'endroit était bien choisi, puisque entre la guillotine et le charnier, il n'y avait que quelques dizaines de mètres à parcourir.
Après la Terreur, le terrain resta en l'état jusqu'en 1796 où l'emplacement des fosses fut racheté par la princesse Amélie de Hohenzollern-Singmaringen dont le frère avait été une des victimes de cette période. En 1800, la comtesse de Montagu rechercha le lieu d'inhumation de sa famille. Grâce à une jeune fille dont les père et frère avaient aussi été guillotinés et qui avait suivi la charrette des suppliciés, les fosses communes furent découvertes. Mesdames de Montagu et de La Fayette achetèrent le terrain et avec l'autorisation de la princesse de Hohenzollern-Singmaringen, fondèrent une société des familles des suppliciés de la place du Trône Renversé.
Pour se rendre au cimetière, il faut aller au 35 rue de Picpus. La porte est ouverte de 14h à 17h ou 18h suivant les saisons.
Sitôt franchi la porte cochère, on entre dans une grande cour au fond de laquelle se trouve la chapelle.
A gauche de la chapelle se trouve la porte qui mène au parc et au cimetière, puis à gauche encore, le seul pavillon subsistant de la fondation du couvent appelé pavillon Louis XIII.
La chapelle est une reconstruction de 1841 due à l'architecte Joseph-Antoine Froelicher (1790-1866).
L'intérieur très sobre comporte deux chapelles latérales dont les murs du fond sont recouverts de plaques de marbre portant les noms des 1306 victimes avec leur âge et leur profession. Dans ces listes, on remarque des jeunes filles de 16 ou 18 ans couturières ou domestiques qui n'avaient certainement rien à se reprocher. La chapelle de gauche montre une statue de Notre-Dame de la Paix datant du XVIe siècle. Celle de droite expose un tableau représentant les 16 carmélites de Compiègne exécutées en groupe.
En franchissant la porte qui mène au cimetière, on entre dans un jardin dont l'allée est bordée de rosiers parfumés (à la belle saison, bien sûr).
Après avoir traversé un bosquet au milieu duquel on peut voir une statue de Saint Michel, on découvre la porte qui s'ouvre sur le cimetière.
Ce cimetière ne peut accueillir que des descendants des victimes de la Terreur et qui ont participé à la souscription ayant permis l'ouverture du cimetière (une unique exception a été faite pour l'historien G. Lenötre 1855-1935).
Dès l'entrée, on aperçoit une grande chapelle mortuaire où ne se voit aucun nom, et à droite un mur où ont été installées des plaques commémoratives pour des résistants dont les corps ont disparus dans des camps de concentration.
Le cimetière en lui-même n'est pas grand et il ne recèle évidemment que quelques dizaines de tombes. Cette tombe au premier plan, est celle des fondateurs de la Congrégation des Sacrés Coeurs de Marie et de Jésus, Henriette Aymer de La Chevallerie (1767-1834) et Marie-Joseph Coudrin (1768-1837).
Au hasard de la promenade entre les tombes, on rencontre des noms illustres qui sont dans la mémoire de la France. Citons par exemple, la famille de Montalembert qui affiche fièrement et sans vergogne : "Nous sommes les fils des croisés et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire". C'est peut-être avec ce genre de conviction que la Révolution est arrivée. Il y a aussi le tombeau de l'illustre famille de Montmorency éteinte aujourd'hui. Ou la famille de La Rochefoucault liée aux Polignac.
Il y a aussi des noms moins célèbres, tels la marquise de Brunoy, la famille Nadaillac ou les Villedieu de Torcy.
Evidemment, la vedette de toutes ces tombes, c'est celle qui reçoit, chaque 4 juillet, l'hommage de l'ambassadeur des Etats-Unis, la tombe de Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (1757-1834). Sa belle famille a beaucoup subi la Terreur. Son épouse Adrienne de Noailles vit périr sa grand-mère, sa mère et sa soeur.
Autour de la tombe se trouvent des plaques commémoratives. L'une d'elles évoque le poète André Chénier (1762-1794) et son ami Jean Antoine Rouchet (1745-1794). La particule ajoutée au nom de Chénier est superfétatoire. Ce poète arrêté le 7 mars 1794, fut exécuté deux jours avant le 9 thermidor. Il a écrit un de ses plus célèbres poèmes "La Jeune captive" pendant son incarcération.
Là, on se trouve devant une nouvelle grille fermée. Derrière se trouve l'enclos où sont les deux fosses communes où furent entassés les 1306 corps de suppliciés. Au milieu, un monument a été érigé par la princesse de Hohenzollern-Sigmaringen pour son frère le prince de Salm-Kyrbourg. On voit aussi plusieurs tombes de proches de la princesse.
L'emplacement des fosses est matérialisé par du gravier et des bornes posées aux quatre coins.
En ressortant du cimetière, on se retrouve dans un petit parc boisé dont une allée conduit à la sinistre porte charretière, qui fut ouverte en 1794 pour faire passer les tombereaux de cadavres. Cette porte a été conservée en souvenir de ces événements sombres.
Un autre vestige subsiste : une porte en pierre, qui appartenait à la chapelle des chanoinesses. Ce bâtiment à l'époque des exécutions, servit aux fossoyeurs pour trier et inventorier les vêtements des victimes qu'il venaient de jeter dans la fosse.
Bien sûr, ces 1306 victimes de la folie révolutionnaire semblent ne pas peser bien lourd en regard des horreurs vues au cours des siècles suivants. Les guerres napoléoniennes, les révolutions de toutes sortes, les deux guerres mondiales, les totalitarismes (fascisme, nazisme, stalinisme, maoïsme, etc...). En tout, peut-être 200 millions de morts.
Comme à chaque changement de régime, la Révolution Française voulait faire le bonheur des hommes. Elle a dérivé vers le massacre avant que la société ne connaisse de nouveaux soubresauts.
Il est intéressant de lire ou de relire "les Dieux ont soif" d'Anatole France qui décrit comment un jeune homme animé des meilleures intentions du monde finit comme juré d'un tribunal révolutionnaire, n'hésitant pas à envoyer les gens à la mort pour des motifs futiles.
Encore une très belle découverte, merci, l'endroit à l'air si reposant au cœur de Paris. Et puis une fois encore j'ai appris beaucoup de choses.
RépondreSupprimerDépêchez vous d'y aller faire un tour avant que les roses ne fanent.
RépondreSupprimerMerci, muchas gracias, por los datos e imagenes, me interesa el aporte de dicha publicación
RépondreSupprimerThis is a greatt post thanks
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