samedi 18 janvier 2014

45, rue POLIVEAU- PARIS 5ème arrondissement.

Voilà une adresse célèbre qui rappelle de bons souvenirs à de nombreuses personnes.
C'est le cadre où se déroule une partie du film de 1956, réalisé par Claude Autan-Lara, "La Traversée de Paris".
Quoique le film ait été surtout tourné en studio, et que les séquences en extérieur aient été réalisées plus bas dans la rue, nous sommes quand même bien devant l'adresse "mythique".

Le scénario : Sous l'occupation, à Paris, Martin, chômeur, gagne sa vie en transportant de la marchandise de marché noir. Un soir, il recrute Grandgil pour remplacer son collègue habituel. Ce nouveau compagnon se révèle beaucoup moins docile que prévu. Après une scène mouvementée chez Jambier, le charcutier, ils partent pour leur long périple, c'est-à-dire livrer un cochon du 5ème arrondissement à Montmartre; chemin faisant, ils entrent dans un café. Il s'ensuit un esclandre où Grandgil invective les patrons. Les deux comparses repartent finalement. Arrêtés par un agent de police, Grandgil assomme le policier. Puis il entraîne Martin chez lui.
Trois acteurs principaux se partagent l'affiche : Bourvil dans le rôle de Martin, Jean Gabin dans celui de Grandgil et Louis de Funès incarne Jambier.
Ce que certains peut-être ignorent encore, c'est que le scénario et une grande partie des dialogues ont été inspirés d'une nouvelle éponyme de Marcel Aymé.

Le scénario du film est simplement inspiré de la nouvelle, car il y a des différences notables entre les deux.
Par exemple, dans le film, c'est par jalousie, parce qu'il soupçonne Grandgil d'avoir rendez-vous avec sa compagne Mariette, que Martin l'engage comme aide pour transporter le cochon.
Marcel Aymé les fait arriver directement dès le début, chez Jamblier (et non Jambier comme dans le film). Grandgil est décrit comme un gaillard frisé aux petits yeux de porc, pas trop loin de Jean Gabin, surtout pour la carrure. Si la rencontre des deux hommes est évoquée, c'est dans un "flash-back" où il n'est pas question de jalousie.
La scène chez Jambier est, à quelques détails près, la même. Evidemment, Jean Gabin hurlant "Jambier, 45, rue Poliveau" a plus d'impact et a largement contribué à faire de ce film, un film-culte.
Plus tard, ils sont amenés à entrer dans un café. Les raisons pour qu'ils y pénètrent ne sont pas les mêmes : pour Marcel Aymé, c'est simplement Grandgil qui décide d'aller boire un coup. Dans le film, c'est un contrôle de police qui les incite à se mettre à l'abri.
Mais ce qui compte, c'est la superbe scène dans le bistro. Les dialoguistes ont conservé, à très peu de détails près, ce qu'avait écrit Marcel Aymé. C'est encore Gabin qui mène le train avec des réparties croustillantes jusqu'au célèbre "Salauds de pauvres!".
Après avoir assommé l'agent, ils se retrouvent donc dans l'appartement de Grandgil. Là Martin découvre que son complice est un artiste peintre et non un peintre en bâtiment comme il le pensait. Marcel Aymé décrit minutieusement les oeuvres de Grandgil alors que dans le film, on ne les voit pas.

C'est aussi à partir de là que les intrigues diffèrent complètement :
Dans le film, les deux acolytes repartent jusqu'à la boucherie où ils doivent livrer la marchandise; ils la trouvent fermée et se mettent à secouer la grille du magasin. Leur tapage les empêchent d'entendre une patrouille allemande qui passait par là. Arrêtés, il sont emmenés à la Kommandantur. Là, un officier reconnaît Grandgil qu'il admire pour son talent, et s'apprête à les relâcher. Malheureusement, Martin est déjà embarqué avec d'autres hommes pour le S.T.O.. Ils se retrouveront par hasard après la Libération. Grandgil monte dans un train quand il reconnaît Martin devenu porteur, c'est-à-dire qu'il continue à porter des valises pour les autres.
Dans la nouvelle de Marcel Aymé, Grandgil reçoit un appel téléphonique d'une amie à qui il raconte sa soirée d'un air goguenard. Martin comprend qu'il s'est fait manipuler et que tout ce que voulait Grandgil, c'était jouer au truand pendant une soirée. Les deux hommes se disputent et Martin en vient à crever les tableaux de Grandgil. Celui-ci en voulant l'en empêcher se plante sur le couteau que brandit Martin. Ce dernier abandonne le corps et va finir le travail en livrant à lui seul les quatre valises. En retournant chez lui, il est hanté par une scène qu'il revit souvent. Pendant la première guerre mondiale, il a combattu dans les Dardanelles et a été amené à tuer un soldat turc. Ce soir, il a tué à nouveau et en éprouve un profond malaise. Il est alors abordé par des policiers qui le reconnaissent d'après un croquis que Grandgil a fait de lui alors qu'ils se reposaient dans l'appartement.

Ce qui sépare les deux oeuvres est plus profond qu'il n'y parait. Le film est avant tout une comédie dramatique ponctuée de scènes magnifiques, jouées par des comédiens de grand talent.
Marcel Aymé, quant à lui, a écrit une fable morale où l'on voit la confrontation entre un honnête homme obligé à gagner sa vie en trafiquant, tandis qu'un intellectuel nanti s'amuse pendant une soirée à jouer au hors-la-loi tout en méprisant ceux qui le font par nécessité.
Dans le bistro.
"Regardez-moi ces gueules d'abrutis, ces anatomies de catastrophe. Admirez le mignon, sa face d'alcoolique, sa viande grise et du mou partout, les bajoues qui croulent de bêtise. Dis-donc, ça va durer longtemps? Tu vas pas changer de gueule un jour? Et l'autre rombière, la guenon, l'enflure, la dignité en gélatine avec ses trois mentons de renfort et ses gros nichons en saindoux qui lui dévalent sur la brioche. Cinquante ans chacun... Qu'est-ce que vous foutez sur la terre, tous les deux? Vous avez pas honte d'exister?"

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