C'est par cette rue que les rois faisaient leur entrée dans Paris, ce qui donnait lieu à de grandes fêtes et finalement fut à l'origine de la création d'un théâtre. En 1402, fut créée la "Confrérie de la Passion et de la Résurrection de notre Seigneur" qui donnait des mystères, c'est-à-dire des pièces inspirées de l'évangile, destinés à insuffler de saines pensées aux spectateurs.
La rue Saint-Denis est aussi réputée pour une autre population. Depuis des temps lointains, elle a été un haut lieu de la prostitution parisienne. La proximité des Halles n'a fait qu'accentuer le phénomène.
Jadis, la partie de la rue qui est aujourd'hui piétonne était interdite aux prostituées la nuit.
Elle devaient se retirer hors de l'enceinte de Philippe Auguste qui passait à la hauteur de la rue de Turbigo. Si on surprenait une fille publique dans un endroit interdit, elle pouvait être promenée par les rues, à califourchon sur un âne la tête tournée vers la queue, sous les quolibets de la foule.
On affirme que déjà, il y a bien plus longtemps, c'est-à-dire plus de 10 000 ans, cette rue était un sentier ou plutôt un chemin emprunté par des animaux énormes qui vivaient sur les hauteurs de ce qui deviendrait un jour Belleville : des mammouths (elephas primigenius). Ils descendaient jusqu'à la Seine pour s'y abreuver et sans doute, pour s'y baigner. On a retrouvé plusieurs fossiles de ces animaux tout le long de leur trajet.C'est une rue riche d'un passé intéressant et varié.
Par exemple, au n°35, il y avait un asile pour les miséreux. Tenu par un dénommé Fradin puis par son successeur, il offrait aux pauvres qui n'avaient pas plus de deux sous à dépenser, un banc pour passer la nuit. Ils dormaient assis la tête appuyée sur une corde tendue en travers de la pièce. Au matin, on décrochait la corde et ils partaient.
L'asile a fermé en 1917. Aujourd'hui, la façade de l'immeuble ne vaut guère mieux que ce qu'elle devait être à l'époque de l'asile. Pourtant, le loyer doit être bien supérieur à deux sous même pour une seule nuit.
Au n°29, un peu plus bas, il n'y a rien ; mais justement, ce rien a une histoire. Car en 1569, vivait là un riche drapier du nom de Philippe Gastine; cet homme était protestant et il eut la fâcheuse idée de prêcher sa religion en dépit de l'interdiction royale qui en était faite. Il fut saisi avec toute sa famille et tous furent pendus (c'est comme ça qu'on faisait à l'époque). La maison fut détruite, et à la place on installa une pyramide avec au sommet, une croix sculptée par Jean Goujon. Mais, en 1570, l'amiral de Coligny après la paix de Saint-Germain, implora Charles IX de supprimer ce rappel de la guerre civile. Les choses se passèrent avec néanmoins beaucoup de difficultés, puisque des catholiques s'y opposèrent et s'en prirent à nouveau aux protestants. On pendit un fauteur de troubles et l'ordonnance royale fut exécutée; depuis cette époque, il n'y a plus rien au coin de la rue Saint-Denis et de la rue des Lombards.
Au hasard des promenades dans la rue Saint Denis, on rencontre des éléments décoratifs plus ou moins spectaculaires ou de véritables monuments, telle la magnifique Fontaine des Innocents. Oeuvre de Pierre Lescot et Jean Goujon, elle a été modifiée au XVIIIe siècle par l'ajout d'une quatrième face par Augustin Pajou.
Beaucoup plus modeste, on peut voir ce calice à moins qu'il ne s'agisse du Saint Graal; fixé au mur d'un immeuble, au coin de la rue Berger et de la rue Saint Denis, il intrigue. Malheureusement, je n'ai pu trouver comment ce décor était arrivé sur ce mur.
Au n°34, au coin de la rue de La Reynie, subsiste une devanture de magasin qui ne correspond pas au commerce exercé aujourd'hui.
Là, se tenait un magasin de confiserie tenu par M.Courtin et à l'enseigne du Chat Noir. Heureusement, les successeurs ont conservé la belle façade et la frise de tête de chats, datant sans doute du XIXe siècle. Dommage que les appétissantes douceurs aient laissé la place aux panneaux criards des habituelles chaînes marchandes de fringues.
Juste en face au n°30, un immeuble montre dans un appui de fenêtre un petit monument à Eugène Scribe. Cet auteur dramatique et librettiste était né en 1791 dans cette maison , où son père était marchand de tissus. Un autre auteur beaucoup plus célèbre y était né en 1732 : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.
Au n°60, au coin formé avec la rue de la Cossonerie, un grand immeuble est orné d'une frise sculptée entre les 5ème et 6ème étages. Au-dessus du 1er étage, on peut lire "Maison batave 1795-1858". C'était une cité privée créée par des Néerlandais en 1790. A cet endroit précis, il y avait un commerce nommé "A la cour batave" qui dura jusqu'en 1858. Balzac en parle dans César Birotteau en termes peu élogieux.
D'autres curiosités sont à voir et à découvrir dans cette rue Saint-Denis. Des enseignes de magasin dont le commerce a disparu, des images décoratives plus ou moins riches ou un immeuble à la décoration soignée.
Au n°135, coin de la rue Etienne Marcel, se trouve un immeuble qui présente deux figures de saints dont on peut supposer que l'un est Saint Pierre (tenant une clé) et l''autre Saint Jean (tenant un calice).
Mais il faut revenir vers le bas de la rue et rejoindre la rue Courtalon.
Là, au n°3 de cette venelle, eut lieu en 1684, un drame hallucinant. A l'époque, le lieutenant de la Reynie dirigeait la police de façon efficace. Or, cette année-là, plusieurs jeunes hommes disparurent mystérieusement. En comparant leurs caractéristiques, on s'aperçut qu'ils étaient tous à peu près du même âge et tous beaux. La Reynie mit Lecoq, un des ses policiers sur l'enquête et celui-ci eut l'idée de sortir un jeune garçon de prison. C'était un voyou jeune et bien fait, et qui était aussi très malin. On le surnommait l'Eveillé, ce qui est tout dire, et on lui mit le marché en mains : ou il collaborait ou il allait ramer sur les galères royales. Il accepta donc de participer à l'enquête, ce qui n'était pas sans danger. On le vêtit d'habits de qualité et il se fit voir autant que possible dans le quartier et aux alentours. Au bout de quelques jours, il rencontra une jeune fille très belle et très attirante qui ne semblait pas farouche. Elle dit être polonaise et s'appeler la comtesse Jabirowska et lui donna rendez-vous au 3 de la rue Courtalon. Méfiant, l'Eveillé prévint Lecoq qui déploya un dispositif autour de l'adresse suspecte. Le soir, l'Eveillé se rendit au rendez-vous où il fut reçu par la jeune fille qui au bout de quelques instants le laissa seul dans la pièce. Il se mit à fouiner, et là caché derrière un miroir, il découvrit une niche. Bien qu'il fut aguerri, il fut horrifié par le contenu de cette cachette. Car elle contenait les têtes coupées et embaumées des disparus. L'Eveillé alla à la fenêtre faire signe aux policiers en planque qui arrivèrent juste à temps pour lui épargner d'avoir à subir le même sort par quatre égorgeurs.
En fait, la Polonaise était en réalité Anglaise et sa bande fournissait un soit-disant savant allemand qui achetait ces têtes pour ses études scientifiques. Quant aux corps, ils étaient vendus à des étudiants en médecine.
Les protagonistes furent pendus mais on ne sait pas ce que devint le savant germanique. (Cette histoire est racontée par Dominique Lesbros dans le tome 2 de son "Paris mystérieux et insolite"- Editions de Borée).
La rue Courtalon mène à la place Sainte Opportune à laquelle je consacrerai un article très bientôt.
Pour finir, une photo qui nous montre le bas de la rue Saint Denis avec au fond, se découpant sur le ciel nuageux, la Tour de l'Horloge du Palais de Justice.
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