Installée dans une ancienne boucherie, voici une librairie qui ne passe pas inaperçue quand on passe devant.
La couleur de sa devanture, ses sculptures bouchères, ses décors émaillés, et surtout à l'intérieur, l'amoncellement de livres variés à l'infini. Ne cherchez pas ici le dernier prix littéraire, mais de vieux bouquins introuvables traitant de poésie, de surréalisme, de beaux-arts et de toutes sortes de choses.
Cette librairie fut fondée en 1949 par Marcel Béalu (1908-1993) qui, après plusieurs déménagements dans le quartier, s'installa en 1973, dans cette ancienne boucherie formant le coin de la rue Madame et de la rue de Vaugirard, à deux pas du Jardin du Luxembourg.
On ne peut pas se passer d'évoquer la personnalité de Marcel Béalu, écrivain-poète, ami des surréalistes, de Max Jacob et de bien d'autres. Il donna à sa librairie ce nom de Pont Traversé en hommage à Jean Paulhan qui avait écrit une nouvelle qui portait ce nom.
LA MOUCHE
Marcel BÉALU
Je n'aurais, bien sûr ! pas fait de mal à une mouche. Mais celle-ci persistait dans son infime et agaçante présence, se collait au bord de la table, semblait, malgré l'avancement de la saison, ne vouloir en finir avec sa vie de mouche. D'une chiquenaude, je l'envoyai sur le sol et me remis à écrire. Au bout d'un long moment, levant le nez, je l'aperçus qui se traînait encore sur l'espace vide du plancher. Non sans un peu de répulsion, je tendais le pied pour l'achever quand j'eus l'impression qu'elle avait augmenté de volume. Quel idiot j'étais d'avoir pris pour une innocente mouche ce perfide insecte deux fois gros comme elle ! Sans hésitation, je l'écrasai. Mais à peine ma semelle relevée, la disgracieuse bête, grosse à présent comme un cancrelat, détalait avec une extraordinaire vélocité et comme je la poursuivais, comme j'allais l'atteindre, se glissait sous un coin du tapis. Alors je m'acharnai, foulant l'endroit où je la présumais cachée, sûr cette fois d'en être quitte. Il n'en fut rien pourtant. Je n'étais pas depuis deux secondes à nouveau penché sur ma page que je vis la carpette se soulever lentement et une sorte de monstrueux hanneton noir en sortir. Il avançait difficilement, en laissant une trace brunâtre. Mais lorsqu'il m'eut entrevu, et malgré son état lamentable, le hideux animal pris de panique parut se soulever du sol. Et tandis que je le pourchassais autour de la chambre il se métamorphosait devant mes yeux. Sous lui le paquet de tripes grises enflait, prenait forme, comme si la carapace n'eût été qu'un cocon inutile. Et bientôt, je me rendis compte que cette bestiole n'était pas plus mouche que blatte mais simple souris blanche. Enfin, d'un coup de pied, je réussis à l'aplatir, immobile, au milieu d'une flaque de sang. Je me retournai. Autour de la table, les membres de ma famille étaient assis et me regardaient avec un douloureux étonnement nuancé de reproche.Mémoires de l'ombre
La librairie donne fameusement envie, très jolies photos.
RépondreSupprimerQuant au texte, beark : sanglant ! Donc assorti à l'aspect "boucherie" de la question...
Tu fréquentes de drôles de boucheries qui vendent des cancrelats et des souris?
RépondreSupprimerJ'adore le bleu de cette boutique.